« A mi-lieux » de Mengzhi ZHENG

 Exposition du 28 février au 30 juin 2020

Mengzhi Zheng est accueilli en résidence dans le cadre du Programme « Lire la Ville » élaboré en partenariat avec le Rectorat de Bordeaux et la DSDEN 47 (Direction des Services Départementaux de l’Education Nationale), avec le soutien de la DRAC Nouvelle-Aquitaine et du Conseil Départemental de Lot-et-Garrone. Il permet en 2020 à dix classes de scolaires du département du Lot et Garonne de rencontrer Mengzhi Zheng pour découvrir son travail, puis mener des ateliers les amenant à pratiquer, manipuler, expérimenter…

Qualifier le travail de Mengzhi Zheng de « micro maquettes d’architecture » serait erroné et réducteur. L’artiste a en effet l’ambition d’aborder plus largement mais beaucoup plus librement les champs communément investis par les architectes en y insufflant une part de spontanéité qui préserve la fragilité et la part de liberté conférée aux matériaux qu’il utilise.
Ses « Maquettes Abandonnées » s’emploient à jouer de vides et de pleins dans des compositions qui, comme un exercice, s’interdisent toute possibilité de retour en arrière ou correction.
Formalisé à petite ou grande échelle le travail de Mengzhi Zheng combine habilement couleurs, formes et matériaux. Le regard ou le corps sont invités à circuler dans des créations ouvertes sur le
paysage ou l’espace, qui établissent d’étonnants points d’équilibres entre maquette, sculpture, dessin, peinture et design…

 

« Le rêve de l’inhabité… est celui d’habiter à chaque fois qu’il est possible ses instants. Ah ce présent ! Cette fabrique de souvenirs… L’inhabité ne peut en faire parti. Il est toujours ailleurs, souvent à l’étage du dessus et jamais loin de la cave. Est-ce vrai ?

Rêver n’est pas interdit ici.

Trouvez votre espace et habiter là, le temps d’un instant. Voyez-vous la traversée de vos yeux ? Projetez-vous à l’intérieur pour en sortir très vite. Ne vous y arrêtez pas. Sautez d’une échelle à une autre sans complexe, furtivement. Captez le dessin – chaque esquisse dans son ensemble. Laissez-vous guider par l’air sous vos pieds.

 Fabriquez votre dessin à partir du mien, à partir de mes abris.

 Cette exposition personnelle A Mi-lieux arrête pour un temps mes recherches. Mes petites histoires que je me raconte sont maintenant les vôtres. 

Elle se compose d’un ensemble de travaux qui forme un tout.

Je parle étrangement d’espaces qui s’apparentent à de possibles constructions. Leurs logiques constructives s’échappent de mon réel palpable, de nos réalités urbaines.

Dans cette première salle, au mur, des nuages noirs forment des marches sur lesquelles sont simplement posés mes dessins avec délicatesse. Formées de bric et de broc, ces Maquettes Abandonnées sont comme tombées du ciel. Chaque

élément qui composent ces constructions trouve naturellement sa place et s’agrippe à l’élément précédent sans jamais toucher le sol. L’élément suivant s’accole au précédent, et ainsi de suite. Le dessin se monte sous mes yeux et forment ces maquettes forgées par le vide et le vent. Fragiles et précaires mais toujours sur pieds.

Au centre de la pièce se trouve une grande sculpture, Milieu, plus frontale, elle se tient debout face à nous. Comme taillée sur mesure pour ces lieux, elle a belle allure : venez confronter vos convictions face aux miennes. Elle nous regarde, vous jauge et finalement, elle a cet élégance de vous inviter du coin de l’œil à rentrer dans l’antre éclairé qui vous appelle.

Vous découvrirez des souvenirs gravés aux murs au fond de la pièce. Des images rêvées dont j’ai eu peine à croire leur existence lorsqu’elles sont apparues à moi lors d’un voyage. Une seconde quête en direction de notre Est européen. Ces objets construits qui défilèrent trop vite sur mon chemin. Ce n’était pas un rêve. Et on y habite bien dans ces Kuća (2018) sans voisinages.

Mais avant d’aller là-bas, devant nous comme servis sur un grand plateau, découvrez des Petites Chutes. De toute petites formes compactes et hermétiques mais aux ouvertures multiples. Ce sont mes carnets de notes. On n’y rentre pas mais on en sort volontiers à tout moment. Entremêlées à elles et de tailles plus imposantes, quelques Contextures observent et veillent à ce que chacun se ballade en silence et en confiance au travers des cheminements invisibles de cette petite toile. »

Mengzhi Zheng

 

Un porte-à-faux à fleur de peau mais sans demi-mesure

 

 

Un papillon sur une branche

Attend patiemment l’hiver,

Son cœur est lourd, la branche penche,

La branche se plie comme un ver.

 

(Paul Eluard, Le Jeu de construction, 1924)

 

 

A Pollen, l’exposition A mi-lieux de Mengzhi Zheng a été amputée de moitié par le coronavirus, mais elle a été aussi prolongée de deux mois. Un titre d’exposition prémonitoire, donc, à l’image des savantes constructions intuitivement (dés)équilibrées de l’artiste. Car le milieu, c’est ce qui est à mi-chemin, qui coupe en deux, traverse, casse l’unité première pour offrir deux moitiés égales, qui elles composent un nouvel équilibre – à la mesure de l’espace d’exposition de Pollen, de ses salles séparées par une coudée. Le mi-lieux de Mengzhi Zheng joue aussi sur les mots, on entend (et on lit) mille lieux, de l’ancienne unité de mesure des distances usitée(entre autres) dans les contes de fées, celle des bottes de l’ogre du Petit Poucet qui n’en couvraient que sept (soit près de 20 km de campagne). Les 4000 km de Mengzhi Zheng sont à l’échelle des paysages contemporains, ils traversent des terres urbaines et rurales aux langues multiples.

L’œuvre de Mengzhi Zheng travaille donc un équilibre du peu. Dans ses « Maquettes abandonnées », qui constituent une sorte de socle premier à son œuvre depuis 2014, l’artiste compare même sa pratique à celle du Mikado. Il inverse le jeu, cependant, comme s’il fallait rebâtir la construction initiale obtenue par le hasard à partir de rien. Un objectif impossible, une entropie à l’envers, celle-là même dont on sait justement qu’elle n’est pas à la mesure humaine. Dans une montée que l’on pourrait imaginer à tort rapide (le processus dure tout de même une à quatre heures), Mengzhi Zheng construit de petites sculptures de 10 à 40 cm de hauteur avec du bois, du papier, du carton, des ciseaux, un cutter et de la colle. Trois dimensions et six faces, pour « échapper à la frustration du dessin qui ne rend visible qu’une seule face ». Mengzhi Zheng les montent en même temps, c’est à la fois un volume et un ensemble de côtés. En collant progressivement chaque élément de ces Maquettes abandonnées, il créé un chaos organisé, traversant, dynamique. Qui surprend par la fragilité de son équilibre, son orfèvrerie bricolée  et la finesse de ses rapports formels et colorés. Les découpes, les vides et les pleins, tout est suspendu dans une délicate perfection – et l’opposition avec l’usage de matériaux récupérés est d’autant plus forte. Cette pratique de construction très progressive d’une structure équilibrée jouant sur les accords de matière, de forme et de couleur rappelle la façon dont Mondrian concevait ses tableaux. Les décrochés des lignes noires, les échos tenus dans les variations de largeur et de hauteur des rectangles colorés étaient travaillés en amont sur un mur de l’atelier, avec des petits carrés de gouache de couleur, de manière très expérimentale, absolument pas mathématique. Les liens avec l’inconscient et une certaine mémoire des formes renvoient d’ailleurs aussi à une histoire personnelle. Quand Mengzhi Zheng était adolescent, ses parents tenaient une boutique dans le 3e arrondissement de Paris. Pendant des heures, il a observé le ballet des cartons que l’on empile, saisit, ouvre, vide, et replie. Pendant des jours, il a suivi et pratiqué ce mouvement qui part du plein pour aller vers le vide, du volume pour aller vers le plan, et des gestes que l’on imagine efficaces, des mains que l’on pressent expertes. Une valse d’arêtes et de plans de tailles différentes, une métamorphose permanente du carton, solide éphémère, fragile.

Dans la salle du fond de l’exposition de Pollen, des Contextures(que l’on pourrait tenir dans les bras, comme les Maquettes abandonnées) et des Petites Chutes (construites à l’échelle de la main – ces « carnets de notes » dans lesquels on n’entre pas mais dont on sort volontiers, comme l’écrit si joliment l’artiste) ont été posées à des intervalles mesurés sur une grande table construite exprès, avec un plateau asymétrique situé à 90 cm du sol. Plus basse que la hauteur des yeux, elle encourage une vue en contre-plongée, nous permettant de « dominer » (le mot est de l’artiste) les sculptures ; mais haute d’une quinzaine de centimètres de plus qu’une table habituelle, elle nous assure aussi une vue plus rasante, peut-être en écho avec le rapport d’échelle que l’on avait enfant avec les objets posés sur les meubles des adultes. Ce léger décalage impacte sur la vision de l’espace ; sans être l’Alice rapetissée de Lewis Carroll, nous perdons malgré tout certains repères. Au mur, des photographies d’architectures dérobées lors de déplacement de l’artiste en Bosnie-Herzégovine(Kuća, 2018) ; tout se répond, les décalages, les couleurs, les jeux d’aplat, l’usage de matériaux parfois pauvres.

Dans l’autre salle, des Maquettes abandonnées de 2016-2017sont posées sur des socles situés à des hauteurs différentes, offrant de multiples axes de vision. « On tourne autour », on les habite, mentalement. Au centre de l’espace, l’artiste a placé une grande pièce intitulée justement Milieu, magistrale, construite dans une échelle de l’entre deux. « J’ai choisi l’échelle humaine, avec une hauteur de 1,70 m », dit Mengzhi Zheng qui la place en deçà de ce qu’il considère une grande échelle, celle où s’opère une réelle pratique du corps. Le mode de production diffère lui aussi : tout est parti d’une esquisse numérique, d’une « sculpture numérique » même, préexistante, à laquelle une collaboration avec l’ébéniste Jean-Claude Merle a donné vie. Partiellement ouverte, traversante, Milieu offre de larges pans aveugles ; et le découpage en plateaux non connectés  rappelle combien ces Maquettes abandonnées se jouent de la notion d’habitabilité, si chère à André Bloc, pour être dans l’entre-deux de la sculpture et de l’architecture. Il n’est plus question d’épauler une pensée architecturale, mais d’en saisir l’essence plastique.