Caroline MOLUSSON

Artiste accueillie en résidence à Monflanquin en novembre 2002 / février 2003.
Née à Tours en 1976. Vit et travaille à Bordeaux.

 

La tapisserie, obstinée et lisse. Sa banalité est trompeuse. Elle ne semble atteindre une condensation extrême que pour mieux s’en éloigner. Son invitation à créer de la présence se perd dans le vide. Cette pièce ressemble à bien d’autres pièces. Mais quelque chose craque par toutes les nombreuses coutures. La moquette vacille et ouvre à d’autres suggestions. Vous ne dites rien ? dit-elle. Je voudrais la rassurer mais j’ai du mal à me tenir à distance du malaise qui s’installe . Son regard attend une explication. Le silence se prolonge. L’espace continue à contrecarrer ses désignations habituelles. Il renonce à certaines de ses limites, se resserre en son centre, multiplie les informations contradictoires. Le réseau des muscles se crispe sous la peau. Du temps passe. Beaucoup de temps, ou très peu. Cette impression de temps qui s’allonge, dure, se suspend ou s’accélère. Elle inspecte chaque ligne, chaque recoin ?. Puis, s’enlise dans une espèce de stupeur. Je risque un geste mais trop peu marqué sans doute pour qu’il puisse lui indiquer une quelconque assistance.

Je me méfie. J’ai peur de bouger. Peur de m’endormir. Cessation de presque toute activité. Je l’entends respirer, s’étirer, remuer. J’ai beau scruter sa nature, ses dimensions, ses encoignures, ses détails, je ne vois rien. Rien que cette sournoise bienveillance. Mais je sais qu’il ne me pardonnera pas la plus petite défaillance. Je dois donc être d’une extrême vigilance. Prendre bien garde à ne pas lui faire signe, à ne pas mobiliser son attention d’une manière particulière, à ne pas encourager la force de son adresse, l’agilité de ses cloisons. Bien entendu, à cette phase déclinante succède une phase inverse. Je rassemble mon courage. Je me sens capable d’entrer en lutte contre lui. De le cogner. De crier. De m’échapper. Mais au moindre de mes gestes, il se dresse, me déséquilibre, me menace. Je m’arrondis. Je ne lui oppose plus qu’une douce fatigue. Je n’agite aucune émotion trop vive. Je me dis qu’il finira bien par abandonner la partie. J’attends, avec résignation. Je n’ai pas d’autres solutions.

Là, à l’intérieur de lui, que distingue-t-il ? L’espace s’interroge sans trop vouloir pousser plus loin. Il ne cherche pas à rassurer. Il déplie tous ses replis. Il affûte ses griffes. Il se prépare à bondir. Ce qui l’attire, c’est l’absence d’ordre, c’est cette parole-matière qui s’agite, bouscule ses ressources formelles traditionnelles. Des formes ambiguës. Des suggestions douteuses. De l’indéfinissable. Il observe cette confusion non pas comme une dérive fâcheuse, mais comme une ruse que forge l’imagination et qui s’efforce de se faire passer pour le vrai visage du monde réel. L’irrégularité l’intéresse beaucoup plus que la norme. Il compose, non sans plaisir, avec ses nouvelles capacités. Il n’a plus rien de neutre et d’amorphe. On commence à le craindre.

Didier ARNAUDET

Catalogue 16 pages + couverture – 16 x 21 cm
Photographies couleurs.
Epuisé.
Texte de Didier ARNAUDET