Sarah GARZONI

Artiste accueillie en résidence de mi-septembre à mi-décembre 2011.
Vit et travaille à Tonneins. 

Exposition « In Carne »  présentée à Pollen du 15 décembre 2011 au 24 février 2012.

 

“Mon travail s’articule autour de la notion d’animalité, sorte de sujet d’étude que j’appréhende sous différents points de vue : de la mythologie à l’histoire, de la sociologie à l’éthologie, en passant par l’ethnologie. Opérant sans cesse de continuels va et vient entre l’Homme et l’animal, je tente d’en renverser les pôles, d’en « flouter » les barrières ayant parfois été établies. Mon travail est un travail de limite. »

Sarah Garzoni

 

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  1. GARZONI

 

Sarah Garzoni L’anima(lité) au cœur de la chair

Orfèvre de l’anima, Sarah Garzoni décortique et reconstruit les êtres vivants. Parfois décoratives, toujours dérangeantes, ses créatures interrogent la violence sourde du règne humain, et les enjeux de l’entre deux. En 2002, pour Mimésis – une de ses premières œuvres ; Sarah Garzoni a alors vingt et un ans – la jeune artiste imprime la peau de papillons naturalisés de sigles et motifs dérobés à l’homme. Un « copyright », un « Nike », un « danger nucléaire », un code barre… Autant d’empreintes de prédateurs, que Sarah Garzoni a apposées sur les ailes patiemment détachées puis recollées. Ces « tatouages » discrets soulignent notre propension à tout marquer, et à cadenasser chaque parcelle de ce qui nous entoure pour le faire nôtre. Ils exposent cette complaisance à nous satisfaire d’un monde balisé et banalisé, dans lequel la reconnaissance des « signes » vaut talisman pour vaincre notre peur de l’inconnu. Mimésis, « imitation » en grec, convoque aussi cette faculté qu’ont certains insectes et animaux à se vêtir des formes ou des couleurs de l’univers dans lequel ils évoluent, souvent pour se camoufler. En se parant de motifs empruntés à notre monde commercial et technologique, les papillons de Sarah Garzoni deviennent les éclaireurs d’une humanité mutante. Si les prophéties de notre enfance décrivaient un futur dominé par les robots, les papillons de Sarah Garzoni annoncent (ou escortent) une cyberhumanité mimétique, siglée et greffée. Sa dense panoplie d’I.P. (la déclinaison des I.Pod, I.Phone, I.Pad…), cyber-carapace à l’évidence plus lourde que ces frêles impressions sur ailes de papillon, la camoufle et l’enferme tout autant qu’elle la connecte. Et elle pose l’homme en cobaye volontaire, esclave trop peu conscient des marques et des innovations technologiques. Trois ans plus tard, pour sa Mascarade et ses Métempsychoses (2005), Sarah Garzoni dépouille et croise des animaux. La poule de Mascarade a perdu presque toutes ses plumes, et arbore une combinaison bien ajustée en peau de lapin blanche. Cependant, malgré son port de reine (de la nuit), sa chair épilée révélée dans l’échancrure du zip métallique de sa peau de lapin, la poule de Mascarade n’en demeure pas moins une poule (un poulet ?), certes déguisée, mais non le lapin (la lapine ?) qu’elle semble rêver d’être. La série  Métempsychose – migration des âmes après la mort vers un nouveau corps – offre un autre miroir à la question de la dualité et d’un « transgenre » élargi. Dans la première œuvre de la série, une femme porte un manteau en vison greffé d’un renard empaillé coupé en deux (la moitié avant sur la poitrine, l’autre dans

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le dos). Point d’altération dans le corps de cette femme habillée normalement et quotidiennement en dessous de son vison, le bistouri n’a touché que les animaux. Œuvre croisée d’un David Garnett et d’un Damien Hirst, cette femme se changeant en renard interroge la double nature qui hante nombre de nos contemporains. Mais s’agit-il de porter en soi et d’exposer en permanence cette autre qui nous habite, de le laisser surgir quand la nuit tombe, ou de l’adopter, le temps d’une mue, comme le fait peut-être cette Peau d’Âne en jeansantiags ? Cette hybridation existentielle mute à nouveau dans Translation (2007). Une âme de mousse polyuréthane (discret écho à nos prothèses en silicone) est recouverte d’un épiderme en cire épilatoire qui a gardé, emprisonnés, des poils humains. La forme de cet animal est étrange, elle rappelle celles du cheval, du chien, du lapin, du cochon. Remixés, ces animaux domestiques transmettent à la fois un sentiment de familiarité et d’étrangeté. Cette perturbation est renforcée par l’absence d’ouverture, les oreilles et les yeux ayant disparu, et les narines et la bouche ayant été bouchées. La créature de Translation (dont on notera le double sens de traduction en anglais, et de déplacement ou glissement en français) fait écho aux créatures des Dystopia d’Aziz + Cucher, hommes et femmes aussi privés de leurs « trous ». Mais si Aziz + Cucher créaient une humanité dangereusement lisse et « parfaite », Translation, avec son pelage clairsemé de poils humains, renvoie à une animalité malade, qui ne survit pas à ses mutations – qu’elles soient désirées ou imposées, on pensera bien sûr aux altérations nées des bombes et catastrophes nucléaires. Sans poser nécessairement une vision apocalyptique du futur humain, les œuvres de Sarah Garzoni jouent des déplacements qui font qu’une chose ou un être devient autre, avec toute la complexité d’une transformation qui ne peut être que partielle, et qui, surtout, remet en question l’identité première. Pour In carne, l’exposition qu’elle propose à Pollen (Monflanquin), Sarah Garzoni propose un nouveau glissement. Plusieurs œuvres tissent un parcours entre la peau et la chair, l’enveloppe et le corps, les fausses apparences, et les translations de matériaux. Contrairement à ce que sous-entend son titre, le beau morceau de marbre d’Art8 n’est pas cet arrière de bœuf tranché à 8 côtes communément baptisé art8, mais un demi-cochon. Avec la collaboration du sculpteur monflanquinois Thomas Stefanello, qui a réalisé la pièce, Sarah Garzoni a pu incarner ce demi-cochon dans un marbre rose veiné provenant du Portugal. Posé droit sur un petit socle en marbre de Carrare gris clair, cet Art8 met mal à l’aise ; sa taille humaine, sa matière et sa couleur, son motif reconnaissable des seuls spécialistes déstabilisent un œil qui s’offusque de cette chair abstraite, sans peau, à vif.

 

Si les peaux de cochons tatouées de Wim Delvoye appellent à une immédiate reconnaissance, celle de Corps étranger reste ambiguë. Il faut se rapprocher, et comprendre la vraie matière de l’oeuvre – un boutis imprégné d’une cire couleur peau, et scarifié – pour saisir toute la violence de ce qui est véritablement à cheval entre une pièce délicatement décorative et une peau dont l’incertitude sur l’origine effraie. Le titre même de l’œuvre fait référence à une inclusion, celle d’un corps étranger à un corps premier, qui peut là encore être désiré et accompagner une conversion – le piercing d’un homme qui s’affranchit, se libère de contraintes sociales liées au corps, ou les rituels de passage d’un âge ou clan à un autre dans certaines tribus africaines comme les Kaleri du Nigéria. Mais ce corps étranger peut aussi être involontaire et négatif, résulter d’un accident, et engendrer une blessure plus ou moins profonde. Les échardes quotidiennes, certes, mais aussi les éclats d’obus de la première guerre mondiale, ou encore les fragments de métal d’accidents de voiture (on pensera au Crash de Cronenberg). Le cloutage grossier au mur de Corps étranger fait écho à la mise en croix du Christ, les gros clous ayant remplacé les fines punaises des accrochages contemporains. Mais qui, au juste, est martyr de cette humanité perdue ? L’animal, son corps, sa chair et sa peau, sur lesquels l’orfèvre-chirurgienne Sarah Garzoni manie scalpel et épingles, incarne dans son intégrité originelle un état de nature utopique. En déconnectant brutalement la peau de ce qui l’anime, l’artiste fait resurgir la part noire de l’humanité, improprement appelée animale. Celle qui conduisit aux pires expérimentations sur les hommes, mais aussi sur les animaux – et dont, finalement, nous ne parvenons pas à sortir, au nom de la toute puissance du progrès et de la science, et de la « hiérarchie » des espèces. Un espoir point cependant, dans cette mixité incandescente ; des croisements naîtra notre rédemption.

Texte pour Pollen / Camille de Singly  2013

 

 

 

L’arbitre des élégances

Sarah GARZONI  collecte des matières, des formes organiques proches et banales.

Elle les détourne, les manipule dans un travail plastique qui mêle le naturel à l’artificiel dans une confusion bien organisée.

Tels les « oiseaux à berceaux » qu’elle a observés en Australie,  Sarah réunit dans des assemblages à priori improbables des matériaux dont la provenance interroge nos rapports à l’animal autant qu’à la nature en général…

Sans message écologique ou « politique », le travail de Sarah Garzoni se pose comme un constat, associé à une forme d’étonnement.

En pointant l’origine « des choses », en réactivant la matrice de formes naturelles, Sarah souligne les  rapports ambigus  que nous entretenons avec un environnement « contemporain » pourtant encore nourri d’éléments bien naturels…   

L’image d’un porc « capitonné » tel un canapé de salon, ranime l’émotion  face à un corps et un être vivant que l’industrie ne souhaite appréhender qu’en tant que « matière »…
Les découpes d’un quartier de viandes agencées dans l’espace, comme une « installation » » viennent affirmer leur filiation avec les compositions picturales ou sculpturales les plus contemporaines…

D’énigmatiques trophées aux enveloppes animales indéfinissables, échappent à toute définition rationnelle   pour ne laisser que la poésie évocatrice de formes confondues avec des matériaux…

Sans trancher entre la création de l’homme et de la nature, Sarah tente un arbitrage par des créations poétiques et malicieuses   qui ravivent notre sensibilité à notre environnement et ce qui le compose…

Pollen / D. Driffort

 

 

Edition réalisée dans le cadre de la résidence à Pollen – Epuisée –
Plaquette 4 pages – 21 x 29,5 cm
3 photographies