Cédric COTTAZ

 

Né en 1975. Il vit et travaille à St Etienne.

Parallèlement à son activité de journaliste reporter d’images France 3, Cédric COTTAZ développe un travail photographique personnel qu’il a entamé en autodidacte, indépendamment d’un parcours singulier passant notamment par une maîtrise de philosophie.
En s’appuyant sur des espaces neutres ordinaires et quotidiens, des sites sans qualité ni caractères particuliers, il souligne des évidences pourtant indicibles à nos yeux.
Couleur et espaces sont appropriés au profit d’images qui affirment une autre dimension de la photographie. 
Cédric COTTAZ sculpte en deux dimensions , peint des images qu’il pose comme des balises afin de questionner notre point de vue…

Denis DRIFFORT

Dans la série «  » lux «  », je m’intéresse essentiellement à la lumière comme élément consubstantiel à la photographie et à la vision.
J’utilise des projecteurs que je braque sur des sujets quelconques, des architectures repérées au gré de mes errances dans le département du Lot et Garonne. Peu importe les sujets photographiés. Je ne choisis pas un bâtiment pour ses qualités architecturales, mais pour ses qualités à répartir, à réfléchir ou à absorber la lumière. En introduisant de l’éclairage dans ces sites, je cherche à voir là où voir n’est habituellement plus possible parce qu’il fait nuit. Je force en quelque sorte l’obscurité pour créer de la visibilité, mais de la visibilité transformer.
Malgré l’usage intensif de la lumière projetée sur le sujet photographié, le dosage de la source lumineuse est précis et minutieux. C’est tout simplement une question de degré. J’utilise un éclairage tout en nuance qui à la fois efface et relève les détails me permettant ainsi de jouer à la limite même de l’apparition de l’image, là où le basculement s’opère entre le visible et l’invisible. 

La lumière rend visible. Son usage intensif déconstruit le visible. En effet, la lumière qui habituellement fabrique de l’espace et de l’architecture en donnant du relief et de la profondeur, vide ici l’image de ses qualités propres. Les perspectives, les points de fuite s’écrasent jusqu’à disparaître. L’image complètement saturée perd son poids, sa matière et se transforme en un corps transparent, vidé de son contenu.

La lumière devient d’un coup un outil de sculpteur avec lequel je travaille C’est une sorte de burin qui me permet de percer, creuser ou aplatir des volumes afin de sculpter un espace en deux dimensions. Par ce procédé, je fais glisser la photographie de la représentation à la présentation en tant que présence. Elle n’est plus cette surface sensible qui représente le réel.

Cet usage iconoclaste de la photographie me permet d’extraire l’image de la narration pour la ramener à son aspect purement matériel, à cette dimension primaire qu’est le visuel.
Débarrassé de ce rapport représentant / représenté, signifiant / signifié l’image retrouve une certaine autonomie. Elle ne renvoie plus alors à un sens particulier ou défini, mais devient un objet en soi. Par ce renversement, je traite la photographie comme un simple outil visuel, une balise qui positionne le corps et le regard du spectateur, un objet de placement et le positionnement physique.
Dans ma pratique, je ramène l’image à son strict aspect visuel. Loin de tout processus narratif, mes images ne sont plus que de la vision en œuvre, en acte. Elles constituent une façon de voir dégagée de toute réflexivité mais aussi de toute positivité. Elles sont une façon de voir qui est ouverture et interrogation, car voir, ne consiste pas à identifier du connu ou de l’intelligible. Au contraire, nous voyons avec notre sensibilité, c’est à dire avec notre capacité à nous laisser toucher. 
Dans ce sens, je ne vois pas dans la photographie mais plutôt avec ou selon celle-ci. La photographie apparaît alors comme une modalité de notre rapport au monde et interroge les différentes manières d’être là, ces différentes manières d’être au monde.
Je travaille donc la lumière comme processus de mise en relation de notre être, de notre corps avec le réel qui nous entoure. A partir de la lumière je pose la question du rapport que j’entretiens avec le monde. Comme mon corps s’inscrit dans un espace, mais aussi dans un environnement lumineux. L’espace est avant tout constitué de lumière en acte. Finalement il n’y a pas d’espace sans lumière et son usage modifie la relation que nous entretenons avec le monde. Elle est ainsi une topographie, un paysage en mouvement et donc un lieu d’ouverture.
Dans cette série, la lumière devenue aveuglante échappe à son habituelle naturalisation dans l’image. D’un coup, elle n’est plus ce qui fait voir mais ce que l’on voit. C’est tout.

Cédric COTTAZ

D’abord le noir. D’où rien ne s’échappe. Epais comme une pâte. Un noir qui nous prive du monde et solidifie un vide, une absence. Ensuite, cette déchirure. Un passage qui libère de la lumière pour laisser deviner au-delà de ses limites quelque chose qui pénètre encore plus loin dans l’image mais aussi dans notre regard. Cette déchirure donne l’impression de n’agir que comme une sorte d’incandescence interrogative.
Le regard a quelque chose ici de la pierre lancée dans la profondeur d’une eau sombre. Il occasionne à la surface des cercles de plus en plus grands mais sans aboutir à la dislocation réelle de ce miroir qui s’écharne à vérifier l’emprise qu’il a sur lui. L’image refuse alors de le lâcher et l’amène face à son ignorance. L’eau se referme sur son énigme et la surface de l’image retrouve l’incertitude d’un calme impénétrable.
La photographie dépend d’une forme théâtrale. Cette forme revendique une construction trompeuse, accepte les contraintes d’une mise en scène et ne souhaite pas se libérer de la présence de son appareillage. Son rôle consiste à nous éblouir, à nous faire douter de ce que nous regardons selon des règles fixées à l’avance, à rendre l’affirmation des choses imprévisible, aléatoire et donc précaire. Le réel est un peu comme le fauteur de trouble qui essaie de rentrer dans le rang, de se faire oublier pour ne pas s’exposer à une condamnation sans appel. Il a bien cherché à résister à ce vertige du voir, à ne pas se plier à cette théâtralité forcée, à ne pas céder à la pression de la transparence aveuglante mais, après avoir considéré les forces en action, à l’envie de transgression, il a préféré la phase de soumission.
L’image se situe à l’intersection problématique d’un dehors, désigné par l’obscur, l’absence de repères, la masse indistincte, et d’un dedans, appelé par la lumière, le blanc comme un silence assiégé d’interrogations et de suggestions. Loin d’exacerber ces pôles contraires, elle les amène à fonctionner ensemble grâce à une tension constante qui suppose une maîtrise précise des espaces occupés par l’un et l’autre.
Dans le cinéma d’angoisse, le suspense découle du montage des poursuites « qui donne tour à tour l’image du poursuivant et du poursuivi » (1). Cédric COTTAZ suggère l’idée d’un suspense par sa mise en évidence d’un principe d’éclairage qui provoque un dialogue violemment actif, donc conflictuel, entre l’éclairant et l’éclairé, et cherche moins à proposer une conclusion nette et définitive qu’à faire apparaître un centre indéfinissable.

Didier ARNAUDET
(1)Pascal Bonitzer : -Le champ aveugle – Essais sur le cinéma- Cahiers du cinéma/Gallimard, 1982

Cédric COTTAZ
artiste en résidence à Monflanquin
de novembre 2004 à février 2005
Catalogue 16 pages couleurs – 21 x 16 cm . + Couverture et photographies couleurs
Epuisé